Bonté divine, lecteur persistant, je suis vraiment tombé sur un maître, le jour où j’ai ouvert un roman d’Elmore Leonard. (Cherche sur le blog, j’ai commenté d’autre de ses bouquins.)
Ce gars-là sait écrire. Et il a un don pour créer des situations qui démontrent le côté crade, sans relief, de personnages extraordinaires. Dans Killshot, il introduit un tueur à moitié ojibwa qui travaille pour les familles italiennes. On pense à un dur de dur, ses frères en prison, lui qui semble être méticuleux dans son travail à l’extrême… et qui raconte comment il est préoccupé par l’image qu’il projette en public. Et qui a le temps de jaser de la possibilité qu’Elvis ne soit pas mort avec une fan finie qui l’héberge et qui lui fait cuire des pâtes en conserves. Et qui se demande pourquoi il n’a pas descendu le petit truand qui a essayé de lui voler sa voiture… J’ai toujours aimé Pulp Fiction, parce que, entre les scènes d’action ou de drame, les protagonistes vivent leur vie ternes et sans intérêt. (Tu te souviens de cette conversation sur le caractère sexuel d’un massage de pied entre les personnages de Travolta et de Jackson? Ils se préparent à tuer des revendeurs à la petite semaine et ils prennent un pause dans le corridor en essayant de déterminer s’ils accepteraient un massage de pied de la part d’un homme… quel décalage magnifique qui rehausse la folie de la scène suivante – celle de la tirade de la Bible par Jackson avant le carnage.)
Dans Killshot de Leonard, on a cette impression que les personnages sont tout à fait dans leur train train malgré les événements incroyables qui surviennent. L’idée du roman est simple:
Wayne et Carmen sont au mauvais endroit au mauvais moment et ils se trouvent pourchassés par des tueurs. Au milieu du livre, on se rend compte que Wayne, un gars qui monte des structures d’acier, est un passionné de son travail; quand il rentre à la maison, il en parle abondamment et sur-le-champ. Ce qui fait que Carmen a pris l’habitude d’attendre qu’il ait fini de raconter ces choses qui lui font plaisir avant de parler – même si ce qu’elle a à dire est mille fois plus important. Leonard installe si bien cette dynamique qu’il peut se permettre une folie littéraire: après le dénouement complètement déstabilisant de l’histoire, Carmen attend Wayne sur le porche de leur maison, ce dernier arrive et elle va enfin lui raconter ce qui vient de se passer… sauf qu’elle ne le fait pas. Le roman se termine sur Wayne, sortant de son pick-up, qui, fidèle à son habitude, se met à expliquer comment il s’est rallongé un trajet déjà long en voulant prendre au plus court. Et Carmen qui l’écoute. Elle ne racontera jamais la fin à son mari, elle n’en a pas besoin. Et Vic, en lecteur émerveillé,se rend compte, lui-aussi, que cette fin inachevée est en réalité complète.
Il finit en décalage, comme un jazzman finirait sur une mineure. L’artiste nous laisse en suspens et pourtant parfaitement tu es conscient, comme moi, que son truc est terminé.
Bravo.
VV