Salut.
J’ai eu envie de te donner un texte. Mais d’abord, un bout d’histoire.
Voici un récit que j’avais envoyé en 2006 à Radio-Canada, pour participer à une anthologie de récits québécois pilotée par Jean Barbe. Comme on a effectivement sélectionné le texte – puis on l’a coupé à la troisième mouture – c’est aussi le début de ma prétention au titre d’écrivain. On y voit une première version du style Verdier. Rythme, dialogues tronqués, parenthèses, références à des paroles de chansons, l’idée du « pourquoi pas », le clown coloc… on croirait que Vic s’était caché sous le clavier pour écrire avant son temps.
Il s’agit donc du récit d’un événement (presque) véridique qui parle d’une rencontre fondamentale entre je et ma blonde… la vraie. Je te confie le texte comme un archéologue exposerait son premier os d’australopithèque…
Con comme un chasseur
À 25 ans, j’avais envie de dire bonjour à n’importe qui (comme dans la chanson) et j’appelais cette disposition de l’esprit face au sexe doux, le « pourquoi pas ».
Par besoin urgent de me prouver, je me lance donc en chasse. C’est en début de soirée, la taverne nouveau genre est plutôt bondée et cette femme (une amie d’une amie, comme dans les films) se trouve accoudée au bar. Elle me donne l’impression d’une lionne farouche. Je jurerais encore aujourd’hui que quelques mèches de ses cheveux ondulaient au souffle d’un ventilateur caché pour me faire signe de tenter le destin. Elle fait partie des ligues majeures, hors de portée des gars comme moi… mais ce soir, c’est différent. Ce soir, je suis capable de tout, « pourquoi pas »?
Je déploie mes ruses de chasseur : humour de situation, gentilles effronteries, proximité accidentelle. La lionne se laisse approcher. Après quelques heures, à bout de ruse et du bout des lèvres, je lui soutire un rendez-vous!
Ce sera chez moi. Enfin, chez mon coloc de fortune – un clown, soit dit en passant. Je cuisine, que je lui dis. Il me faudra du courage et une bonne recette.
Le soir convenu, cette femme, sauvage et superbe, cogne à ma porte. Merci Seigneur. J’ai par devers moi deux atouts reconnus mondialement pour faire craquer les femmes : le parfum suave du rôti de gigot d’agneau à la marocaine mariné au yogourt ainsi que la tenue éprouvée du cuistot-intello. Elle tombe dans mon piège avec une bouteille de merlot américain qu’elle avait gracieusement apportée, histoire de ne pas arriver les mains vides.
Et c’est là que je suis devenu con comme seul un couillu peut l’être. Bonne conversation, bouffe surprenante (je sais ce que je fais, quand même), rires, sourires, anecdotes intimes, petits gestes complices; on aurait dit qu’un ami me soufflait les bonnes réponses. Mais plus les minutes passent, plus le mâle stupide remplace le patient chasseur – dans mon dialogue intérieur, Cro-Magnon veut que je renifle la femelle et que je hurle au monde quelle m’appartient en la tirant par les cheveux vers ma couche. Je lui résiste encore, heureusement.
Un peu de musique, un déplacement entendu vers le sofa et victoire! La belle m’offre une ouverture pour le baiser… que je passe à deux doigts de gâcher comme un con.
Il faut voir la scène. Elle a l’infinie bonté de laisser mes lèvres à moi se poser sur ses lèvres à elle et je laisse Cro-Magnon s’exécuter en vitesse, sans douceur, agressif, comme de peur de la voir se sauver. Elle me roule des yeux étonnés pleins de déception où je décèle même une pointe de reproche. Le mâle stupide recule en moi l’espace d’une seconde et j’arrive à améliorer mon deuxième passage. Rien de magistral, mais mieux.
Rassuré et même fier de ma performance, je me vois déjà dans la pièce voisine, sur mon futon emprunté au clown, à me délecter de la chair féminine fraîchement conquise. Je ne me rends pas compte que mon euphorie a définitivement confié au mâle stupide le contrôle de moi.
On sonne à la porte. Intérieurement, je peste et repeste contre l’intrus. Dans le couloir, je pratique ma réponse comique à ce faiseur de troubles qui voudra sûrement parler à mon clown de coloc.
J’ouvre. Une autre femme – que je n’ai pas invitée. Elle me balance une histoire de fou à un rythme difficile à suivre.
Sa petite fille est en pleine crise d’asthme, la foutue pompe-miracle est vide, elle arrive de la pharmacie, la machine interac est en panne, merde, ce qui la pousse à me demander humblement et sur-le-champ un billet de 20 $ qu’elle me rendra dans quelques heures puisqu’elle habite le 4545 et que nous sommes presque voisin, n’est-ce pas, s’il vous plaît monsieur.
Le cave que je suis devenu sent alors que la bonne fortune lui sourit. Mettre la main à mon portefeuille, en sortir 40 $ pour faire bonne mesure, souhaiter le rétablissement de sa fille à la pauvre maman et, surtout, démontrer par la beauté du geste à la fois ma capacité de pourvoyeur (un autre atout mondialement reconnu pour séduire les femmes depuis l’époque de monsieur Magnon) et ma grandeur d’âme. Du haut de ma superbe, je reprends des airs de chasseur viril et réintègre le salon pour porter le coup de grâce à ma proie. Du moins en suis-je convaincu. Mais ma lionne a quitté le sofa. Le piège ne se serait donc pas refermé?
Loin de me démonter, je l’attire par jeu vers le cadre de la porte de ma chambre et j’abats ma carte maîtresse : mon exploit de chevalier défenseur de la veuve et de l’orpheline asthmatique! D’un rire sonore, elle contre mon attaque ultime et je me rends compte de tout. C’est aussi évident qu’un camion qui recule : je me suis fais baiser, moi qui voulais justement…
Ha! Ha! Ha! qu’elle se rit de moi ma belle lionne. Et je tente de faire comme si de rien n’était pendant qu’elle me remercie parce que c’était bien bon, mais qu’elle travaille demain et qu’elle doit y aller.
Exit ma victoire charnelle sur le futon d’emprunt, au son de la porte qui claque derrière elle. Clac!
On sonne de nouveau. Ma flamme se rallume. La pauvre maman doit être de retour, que je me dis, avec mon argent et tout sourire que je l’aie tirée d’un mauvais pas. Ça se pourrait, non? Je me demande où j’ai mis mon appareil photo pour immortaliser le moment et brandir le cliché fièrement au nez de la vilaine lors du souper qu’elle me fera pour s’excuser de s’être payé ma gueule à tort. Ha! Ha! Ha! moi aussi, que je me dis.
J’ouvre. Pas de pauvre maman devant moi, mais plutôt l’objet de tous mes désirs qui m’informe, par charité on s’en doute, que le 4545 n’existe pas sur ma rue et qu’elle peut donc me confirmer en toute amitié que je me suis fait berner purement et simplement.
C’est avec ces mots échangés sur le pas de la porte en fin de soirée que tout a changé. Le chasseur chassé, il s’est trouvé devant cette femme superbe, un gars, penaud, gauche, dégonflé… touchant. Mon deuxième souper (car il y a bien eu un deuxième souper), je le dois à mon arme secrète : ma version à moi de l’imbécillité masculine – pleine de charme et Ô combien attirante. D’autres diront que rien ne peut battre une paire de fesses rebondies et de larges épaules pour conquérir la femme sauvage, mais je leur répondrai que les belles fesses sont rares, demandent du travail, alors que tous les hommes ont en partage une imbécillité naturelle qu’il suffit d’utiliser avec discernement.
VV