
Tu le sais, je ne parle que des livres que j’ai aimés; il y a assez de mauvaises critiques sans que je perde du temps à y ajouter les miennes.
Donc, La bête intégrale de David Goudreault. **** Let’s cut the crap. Ce roman a été primé, il est encensé.
Ma contribution sera donc de t’offrir un TOP 3 des raisons qui font que moi, je l’ai aimé:
- Voyage dans la tête d’un personnage fantastique pour recadrer la société dans laquelle nous vivons – ambitieux et réussi
- La bête définit sa propre échelle de valeurs, elle ne correspond probablement pas à la tienne, ni à la mienne. Elle est atroce et donne envie de vomir – pourtant, elle est solidement ancrée dans notre monde, elle en est le substrat. Ça ouvre les yeux.
- La bête se livre sans filtre. Elle dit des énormités qui ressemblent à des vérités.
- Ces mots qui montent en moi comme des mantras ou qui meurent mollement selon les mouvements de mes malaises – la langue de David Goudreault (wow)
- David sait s’amuser avec la langue. Il écrit vraiment très bien. Il m’a fait rire fort et souvent. Frissonner, aussi.
- David se donne les moyens de faire parler sa bête – elle brise le quatrième mur, s’adresse au lecteur, se positionne elle-même comme narrateur-rappeur. C’est formidable.
- Une histoire terrible, pourtant banale, qui nous permet d’entrevoir des univers clos, de l’intérieur
- La crasse de la vie « normale » après une enfance avec des ancrages atypiques
- La violence de la prison, microcosme de la société, enfer dégradant
- La mécanique implacable de l’environnement psychiatrique
- La rue, dans son expression crue, mais où on cherche le bonheur, chacun à sa façon
Bref, c’est bon. C’est très bon.
Dans ce livre, on se retrouve à la croisée entre un journal intime et un film d’action. La bête amorce sa vie adulte au début du roman. Déjà, elle est persuadée que ce monde est pourri et que ses règles s’appliquent aux moutons. Pourquoi y chercher autre chose que du contentement à l’échelle de sa personne? Pourtant, comment, par ailleurs, ne pas être forcé d’aller vers l’autre? Vers la mère qui l’a abandonné, vers la femme qui pourrait l’aimer, vers des amis avec qui partager ce qu’on apprécie, vers le public qu’on souhaite toujours impressionner et qui peut rendre riche…
Tout au long des ce texte, la bête veut ce que tu veux, toi-aussi, dans le fond, mais elle le désire selon sa propre construction du monde.
David Goudreault te remet en pleine face que toi aussi, le monde t’apparaît selon la compréhension que tu en as. Est-ce la bonne? Hein? En es-tu fier, de tes valeurs, de tes principes? Est-ce que ça apporte du bon et du savoureux, ton affaire? Pour toi? Pour les autres?
J’ai terminé ma lecture depuis quelques jours et le roman m’habite encore. Il va demeurer auprès de moi, je le sais déjà.
Comme auteur, David me donne envie de jouer davantage avec les mots. D’y porter une attention plus amoureuse. Comme humain, il me questionne. Sa bête me pourchasse et je me demande à quel point je m’en différencie.
J’ai bien peur que la bête existe un peu en-dedans de moi, que je sache le reconnaître ou pas.
Je me rends compte que mes romans posent systématiquement des questions qui ressemblent à celles de David dans sa bête intégrale: les choix qu’on fait quand personne ne regarde, le besoin viscéral de réussir, l’instinct de vengeance, la recherche maladroite de l’intimité, la société qui se transforme quand on en change les paramètres. J’aborde ces thèmes moi aussi; de façons très différentes, voire opposées à l’approche de David – pourtant, ces questions demeurent centrales dans tous mes romans.
Et ça donne des livres for-mi-da-bles. (Merci David.)
VV